mardi 4 juillet 2017

Légendes urbaines: le chien au micro-ondes








Impossible de ne pas avoir entendu parler de celle-là; c'est la première qui nous vient à l'esprit quand il est question de légendes urbaines.

Elle figurait au sommaire de la saison 1 de Légendes urbaines sur Planète no limit, et je ne résiste pas à l'envie de raconter cette version en particulier.


Le sommaire comme d’habitude, présentait l'histoire comme vraie. Or, le téléspectateur français, même s'il ignorait qu'il s'agissait d'une légende, ne pouvait que sursauter à maintes reprises et sentir que quelque chose clochait dans cette émission américaine-il s'agissait, non sans raison, de la seule reconstitution d'une légende qui se situait ailleurs qu'aux Etats-Unis..




Alors voilà:


"En 1997, Elodie Férégé (sic), une vieille femme française, vécut une mésaventure très connue, car tous les médias en ont parlé depuis. Elle avait un caniche du nom de Minky (re-sic) et avait coutume, pour le sécher après son bain, de le laisser assis devant la porte ouverte du four traditionnel. Son fils Gaston (sic, oui, sic) lui fera un jour don d'un micro-ondes, qu'elle n'avait jamais utilisé. Elle part en promenade avec Minky comme d'habitude, mais un orage éclate et elle rentre à la maison avec un chien trempé jusqu'aux os. Pour le sécher plus vite, elle le met au micro ondes (qui lui marche avec la porte fermée). Evidemment, de retour dans la cuisine quelques minutes après, elle constata que la pauvre bête avait explosé."



Bon là, les spectateurs américains n'y ont peut-être vu que du feu, mais deux-trois détails doivent titiller le cervelet arrière droit des français.



1) En 1997, vos grand-mères (et les miennes) savaient sûrement se servir d'un micro-ondes, courant depuis 15 ans dans l'hexagone.



2) Férégé est un nom surchargé en accents et peu commun, de fait, on dirait que ça crie aux anglo-saxons: "Hey! Je suis un nom étranger".

3) Elodie a été couramment attribué aux femmes nées dans les années 1980 et 1990 mais presque jamais à celles des années 1920 (apparemment la génération de l’intéressée). Pour rester dans les mêmes initiales, une femme de cet âge se serait plutôt appelée Emilie ou Estelle.



4) Combien de fois faudra-t-il répéter aux américains qu' au contraire Gaston n'est pas du tout couramment attribué depuis les années 1920? Et ici, le concerné semble être des années 1960. Il est aussi photographe de mode parce que ce n'est pas comme si un français pouvait être prof, contrôleur aérien ou équipier chez Macdo.



5) Minky veut dire velu en anglais et c'est un nom d'animal courant aux Etats-Unis. Mais justement: en anglais. Ici, je suis prête à parier 10 contre 1 que vous n'avez jamais croisé de chien de  ce nom; il est plus probable qu'on l'aurait appelé Touffu.



Donc, sans même arriver à la fin de l'émission, le spectateur français savait déjà que l'histoire est bien fausse (et pour une fois l'émission n'a pas bien soigné la reconstitution). Ma seule indulgence pour cette version est qu'il y a une explication derrière l'idée de mettre l'animal au micro-ondes: l'habitude de déjà utiliser le four traditionnel pour le séchage, détail qui lui est propre.

D’habitude, on ne précise pas la nationalité de la grand-mère; on suppose qu'elle ne sait pas se servir d'un micro- ondes (et croit pouvoir sécher un chien avec après l'avoir lavé)  non parce qu'elle est européenne, mais parce qu'un préjugé contre les personnes âgées veut qu'elles  ne sachent pas user des appareils créés après les années 1950, ce qui assoit la crédibilité de la légende.





Celle-ci est aussi vieille que l'arrivée massive d'électroménager (années 1950 et 1960) et repose aussi sur la peur de la technologie, du moins quand celle-ci est mal utilisée.


 La nouveauté technologique est toujours accueillie avec méfiance et les récits sur son mauvais usage fleurissent. Vous avez peut-être entendu parler de la rumeur qui, dans les années 1980, prétendait que les micro-ondes étaient sinon cancérigènes, au moins faisaient disparaître les éléments nutritifs des aliments? Ben oui: on trouvait toujours un truc à reprocher à ces fours.



La légende du chien et de la vieille femme sera réadaptée pour servir cette nouvelle défiance...mais cette histoire existait déjà, avec les lave-linges. Vous connaissez probablement cette variante: la mamie aurait cette fois mis son chien au lave linge pour le nettoyer, avec la même issue fatale.



A propos de variante, il est possible que l'animal soit un chat-ce qui explique mieux, au niveau de la taille, comment on l'a fait entrer dans un micro ondes.


Dans le film Nicky Larson et le parfum de Cupidon , une scène semblable a lieu avec un hamster, ce qui colle encore plus question format.



Et le propriétaire n'est pas toujours une grand-mère mais parfois un enfant, dont l'inexpérience est expliquée par le fait qu'il n'a pas l’habitude d'user de technologie. Voire, qu'il avait décidé de faire une bêtise pure et simple.

Expliquant son utilisation dans Junior le terrible.


Avec les années 1990 et 2000, une nouvelle variante, ou plutôt un addendum, est venu s'ajouter à l’histoire d'origine.  Elle est en général racontée par les non-américains, et ça explique son absence de la version filmée pour l'émission Légendes urbaines.

Dans cette variante, l'histoire ne s'arrête pas à la mort du chien: la vieille femme, qui est américaine donc, décide de faire un procès au fabricant qui n'a pas prévenu dans son mode d'emploi qu'il ne fallait pas mettre un être vivant au four. Et elle gagne.



Les Etats-unis permettent des procès qui peuvent sembler insolites aux européens.  En 1992 par exemple, Stella Liebeck intenta  un procès à Mac Donalds car  elle s'était brûlée au troisième degré avec un café acheté là-bas.


Non sans raison, quand même: les soins lui avaient coûté cher (c'était avant l'Obamacare) et Mac Donald's vendait ses cafés à une température trop élevée pour que le liquide reste chaud jusqu'à ce que les gens arrivent au bureau.


 Après le procès, Mac Donalds dut préciser par écrit sur les gobelets que l'eau était très chaude.



Amusé, le journaliste et humoriste américain Randy Cassingham créa les  Stella Awards qui récompensa entre 2002 et 2012, la  personne ayant entamé la poursuite jugée la plus outrancière aux États-Unis.



Les Stella Awards sont une source de fous rires intarissables pour les non- américains et on comprend mieux comment la légende de l'animal et de l'électroménager s'est adaptée à celle des exagérations américaines en matière de loi (celle qui permet, dans Les Indestructibles, de coller un procès aux fesses du héros qui vient de vous empêcher de vous suicider). Disons que cette légende a encore de beaux jours devant elle.

Il me reste, hélas, à vous apprendre que si personne n'a perdu d'animal par accident avec le lave-linge ou le micro -ondes, certains ont, c'est avéré, usé de ces objets pour tuer délibérément(ou pour certains, "punir") des chiens ou des chats.


Ces derniers, à ce qu'on dit, aiment parfois entrer dans les machines restées ouvertes (prenez garde à toujours fermer la vôtre!) et pleines de linge encore sec, mais les propriétaires  les voient avant de lancer le programme.



Mais ne croyez pas n'importe quoi pour autant: En 2005, Randy Cassingham devra publier son livre: The True Stella Awards: Honoring real cases of greedy opportunists, frivolous lawsuits, and the law run amok afin de contrer de nombreuses légendes urbaines de procès abusifs sur internet.



Par exemple, la légende du camping car à pilote automatique. A l'origine, elle concernait un conducteur branchant le pilote, et qui allait faire un somme à l'arrière, tandis que bien sûr le camping car quittait la route et le conducteur était tué. Dans la version de la légende qui a circulé après les Stella awards, il survit et intente un procès au fabricant du véhicule, qui ne précise nulle part qu'il ne fallait pas quitter le volant.



Parfois enfin, la légende du chien et du four  vise une autre catégorie de la population: les gens aisés. La vieille femme ne saurait pas user d'un micro ondes parce qu’elle a l’habitude d'avoir du personnel ,et de plus, elle est est impeccable et toujours apprêtée à même titre que son chien. Cette snobinarde qui a coutume de créer des boucles parfaites à son caniche en le séchant, donc, se demande si ce nouvel appareil  ne donnera pas un meilleur résultat-et se voit punie pour cette course à la performance.



Très polymorphe, que vous vouliez vous moquer des gens âgés, riches, des nouvelles technologies ou des procès insolites, cette star des légendes vous donnera sans doute satisfaction.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire