lundi 8 mai 2017

La grande peste noire


On vous sans doute déjà parlé de cette épidémie en cours d'histoire, qui, de 1347 à 1352, a décimé 30 à 50% de la population européenne. En général, seul cet angle clinique est abordé.

Donc, je ne vous parlerais pas de la propagation de la maladie , son aspect, son histoire...On trouve facilement ces détails. Les conséquences culturelles, politiques ou religieuses furent énormes, mais en revanche on en entend rarement parler. Et pourtant: je puis affirmer que cette épidémie a durablement transformé le monde, et fut une catastrophe formatrice à l'instar de la révolution et des guerres mondiales.


Précisons tout de même les origines: le foyer était en Chine et voyageait durant les guerres entre Chinois et Mongols. En 1346 des mongols assiègent Caffa (comptoir génois) , en Crimée, et avant de se replier catapultent leurs cadavres par dessus les murailles de la ville, une guerre bactériologique avant l'heure.


Ça fonctionne: des marins génois tombent malades, et répandent l'épidémie dans tous les ports commerciaux où ils se rendent: Marseille, Gênes, la Sicile,Venise, Constantinople...Autant de lieux où on n' était plus habitués à la peste, inconnue en Europe depuis l'Antiquité, et la peste de Justinien au VIème et VIIème siècles . D'autres épidémies ont pu frapper entre temps, mais il s'agissait en fait d'autres maladies, identifiées à tort à la peste.  Mais en 1346, c'est bien la peste bubonique (ou noire) qui trouvera en Europe un foyer de contagion sans anticorps.


La maladie progressera en Italie, en France, en Allemagne, en Espagne, puis gagnera la Grande-Bretagne...Seuls certains pays au centre de l'Europe de l'est seront épargnés.


Vous devez connaître le mode de propagation: les puces, transportées par les rats, abondants en ces temps d'hygiène moins rigoureuse qu'aujourd'hui. D'autant plus abondants qu'il y avait alors peu de chats, considérés depuis une bulle (décret) du pape Innocent III (1160 -1216) comme des créatures de Satan. Donc, on avait pour habitude de les pourchasser, mais pas de les posséder.


 Le fait de rarement changer les draps, ou les vêtements de nuit, faisait aussi en sorte que les puces de lit abondaient.


Mais les gens d'alors, pas au fait des méthodes de contagion, croyaient la maladie transmise par les vents, la consommation des  poissons de mer(!),  la vue des malades, les odeurs (d'où le terme "empester"), voire le simple fait de songer à la maladie. On brûlera bien souvent des plantes odorantes pour assainir l'atmosphère mais rien n'y fit.


Le seul autre moyen consistait à barricader chez eux les malades (et parfois leurs parents toujours bien portants avec !), voire à boucler des quartiers entiers, au moyens de "murs de peste" (on en construira plus tard à Édimbourg, dans la rue Mary King's Close, ou  en Provence  en 1720) .


La colère divine, à cette époque  très  chrétienne, sera  souvent évoquée. Pour expier les péchés de l'époque, les flagellants, des pénitents, voyageront de ville en ville où ils se fouettent au sang sur  la place centrale. Ironiquement, ils vont propager la maladie en se déplaçant; le pape Clément VI condamnera  leurs agissements.


Mais au contraire, d'autres tomberont dans le scepticisme, se sentant abandonnés. Totalement désespérés, certains passeront leur journée à boire dans les tavernes. D'autres passeront le temps en s'abandonnant à toutes les licences. Le décès de bon nombre de propriétaires de maisons verra l'installation de squatteurs qui y donneront des orgies sauvages.



La maladie et sa propagation semblaient alors à ce point inexplicables, qu'on pensa à un complot destiné à perdre le monde. Mais de qui donc venait-il? A l'époque, le judaïsme était la seule minorité religieuse d'Europe (jusqu'à l'apparition du protestantisme au XVIème siècle).



 Les juifs étaient, au mieux, tolérés dans les ghettos où ils étaient parqués et n'avaient le droit d'exercer que les métiers de fripier et ceux liés à l'économie ( prêt, usure) entre autres car les chrétiens ne pouvaient se permettre alors les métiers d'argent.



Seulement voilà: dès que quelque chose allait de travers, on était prompt à imaginer un complot juif contre la chrétienté. Par exemple, toute disparition et/ou assassinat d'enfant se transformait vite en accusation de meurtre rituel en cas de proximité d'un ghetto. Car on était alors persuadé (surtout aux abords de la pâque) que les juifs sacrifiaient des enfants chrétiens pour boire leur sang. Ironiquement, les mêmes rumeurs courraient au sujet des chrétiens de la part des romains du premier siècle, quand ce n'était encore qu'une secte; on peut parler de rumeur vieille comme le monde vis à vis des minorités religieuses...


Parce que non soumis à l'autorité du pape, les juifs ne voyaient pas d'inconvénient à posséder des chats; le ghetto de Venise fut relativement épargné pour cette raison. Hélas, cela rendit aussi les juifs suspects.



Ils furent accusés d'empoisonner les puits (ce qui était le cas pour toute épidémie, y compris par exemple celles du "mal des ardents," induit par l'ergot de seigle). Il y eut bien des observateurs sensés pour faire remarquer qu'il y  avait malgré tout des victimes juives, mais on leur répondit, naturellement, que c'était pour mieux brouiller les pistes...


Sous la torture, des juifs confessèrent ce qu'on voulut et furent condamnés au bûcher tandis que les pogroms (malgré les bulles du pape Clément VI destinées à  protéger les juifs) se multipliaient contre les survivants qui ne savaient plus où aller.



Sauf peut-être en Pologne où le roi Casimir III leur attribua des terres inoccupées des territoires orientaux (et la libre circulation, ce qui était rare) dès 1334.



Il y aurait été poussé par l'amour de sa maîtresse qui était juive, et dont le nom aurait été Esther...Oui, comme la reine de l'ancien testament du même nom, qui supplia son époux gentil (non-juif) d'épargner son peuple, elle aussi! La coïncidence semble si extraordinaire que ce n'en est peut être pas une: il est possible que faute de connaître le nom de la maîtresse, elle aie été surnommée d'après la reine.


Voilà qui explique l'importante communauté juive qui exista en Pologne jusqu'au XXème siècle, quand la seconde guerre mondiale vida et détruisit  les ghettos. Et qui explique aussi, hélas, le fort antisémitisme polonais jusqu'à cette époque, à cause de la proximité.


On connut aussi des famines à cette même époque, et la guerre, puisque celle de cent ans dura jusqu'en 1453. Ce qui fit craindre aux plus érudits la fin du monde, car l'apocalypse dans la Bible est annoncée par quatre cavaliers: ceux de la guerre, de la famine, de la pestilence (épidémies) et de la mort.


Les famines, les guerres, et les épidémies de peste devaient revenir avec régularité tout au long de la Renaissance, puis du grand siècle. D'où une question lancinante: pourquoi? Quels mauvais agissements des humains avait pu leur valoir la "vengeance divine"?

Les peuples eurent peur de ne pas s'être montrés assez zélés ou assez purs dans leur pratique, et ce drame leur fit perdre beaucoup  de leur insouciance. On se posa des questions; les papes n'avaient- ils pas eu le tort, pour commencer, de s'installer en Avignon plutôt qu'à Rome? (Dès 1378, la papauté se réinstalle à Rome.) Clément VI  avait pourtant survécu, assez avisé pour écouter les conseils des médecins qui avaient suggéré de s'installer dans une pièce où brûlaient deux feux (toujours pour assainir l'air) et où le pape était seul, sans même ses serviteurs (ce qui lui évita le contact avec des contaminés).



Mais rien n'y fit: l'église catholique paraissait trop corrompue dorénavant. Ce n'était pas totalement faux; elle était  très riche (les indulgences étaient alors soumises à un commerce), et les prélats pas toujours très préoccupés de leur vœu de chasteté (les papes pouvaient  avoir des "neveux," qui étaient en fait leurs enfants).


Martin Luther, né en 1483, créera le protestantisme un siècle et demi après l'épidémie; il avait très certainement été influencé par les différents réformateurs qui s'étaient exprimés depuis, comme Jean Hus (1369-1415).  Dès 1402, ce dernier s'élevait contre les "erreurs du catholicisme".



 Y-aurait il eu un désir de réforme dans des temps moins troublés? On peut en douter. J'ajoute que les protestants, sous leurs différentes formes, seront à leur tour victimes de persécutions. Certains seront poussés à émigrer au Nouveau Monde pour en réchapper, à commencer par les puritains (aux règles de vie très rigides), ou pères pèlerins,  du bateau "Mayflower"  en 1620 et que les américains d'aujourd'hui voient comme leurs ancêtres.



On ne s'en prit pas qu'aux juifs et aux huguenots, d'ailleurs. La Reconquista espagnole se  termina en 1492 (chassant juifs et musulmans du royaume d’Espagne), et par la suite, l'inquisition (fondée en 1478) poursuivit les apostats de tout poil.




 Dans le reste de l’Europe, vous devez vous rappeler que l'inquisition fut aussi à l’œuvre, et que la grande chasse aux sorcières se déclencha aussi à partir de 1376. L'idée derrière  ladite  chasse aux hérétiques, était qu'une secte démoniaque cherchait à perdre l'humanité. Les bûchers s'allumèrent entre 1436 et 1630.


Les arts furent aussi grandement influencés. Boccace écrivit au début de son Décaméron (1349-1353): "Cette tribulation (la peste) a pénétré d'une telle épouvante le cœur des hommes et des femmes, que le frère abandonne le frère, l'oncle le neveu, la sœur le frère et souvent l'épouse son mari. Chose plus forte et presque incroyable, les pères et les mères évitent de rendre visite et service à leurs enfants, comme s'ils n'étaient pas à eux."



Le Décaméron, recueil de cent nouvelles, est la première œuvre de prose écrite en italien et marque la naissance du genre. Le prologue raconte comment les protagonistes se cachent dans une maison de campagne durant l'épidémie, selon un principe adopté à partir de la peste noire: "Cito, longe, tarde" (pars vite, va loin, et reviens tard) quand surgit cette maladie.

Ils occupent leurs journées en se racontant les cent histoires du recueil, car que pourraient-ils faire sinon?

Les nobles et les riches manquaient rarement de prendre la fuite, et cette attitude a peut-être inspiré la nouvelle de la Mort Rouge d'Edgar Allan Poe quatre siècles après (Allan Poe ayant été traumatisé par la tuberculose qui avait emporté sa femme).


Dans La Mort Rouge est décrite une maladie fictive qui fait apparaître des taches pourpres sur les malades et fait jaillir leur sang (d'où le titre). Elle progresse en une demi-heure seulement, ce qui peut paraître un peu rapide, mais la peste noire pouvait, il est vrai, emporter une personne en une journée.  Et en outre l'action prend place en Italie, apparemment à la même époque que le Décaméron.


Le héros, le prince Prospéro, se réfugie avec mille de ses courtisans dans une de ses abbayes fortifiées, approvisionnée et aux portes clouées de l'intérieur, le temps que l'épidémie passe. Au bout de cinq mois  et alors que la maladie au dehors sévit avec le plus de rage, Prospéro donne une fête costumée.



 Aux douze coups de minuit, les invités remarquent soudain un convive déguisé en cadavre atteint de la mort rouge, habillé d'un suaire.



 Prospéro ne goûte pas la plaisanterie et veut tuer l'individu, mais s'écroule  couvert de sang avant d'avoir pu y arriver.


 Les autres invités tirent sur le suaire et le masque, mais il n'y a rien en dessous.

La Mort Rouge en personne s'est invitée inexplicablement telle un voleur de nuit dans l'abbaye, et tue en quelques instants tous les convives.


La Peste écarlate de Jack London (1924) décrit une maladie étrangement similaire (très rapide, elle colore la peau des victimes en rouge).


 En 2073, cette épidémie a décimé presque toute l'humanité.

Dans L'araignée noire de Jérémias Gotthelf (1901), Satan envoie des araignées envahir un village suisse, qui propagent la peste par piqûre. Impossible dans les faits, mais Satan et les modes de propagation peu orthodoxes semblaient ne pas être hors de portée pour une infection si terrible.



Edgar Allan Poe, lui toujours, racontera dans Le roi Peste comment, dans un quartier de Londres muré pour éviter la contagion, une cour va s'organiser avec la maladie incarnée en créatures étranges.


Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.

(la Fontaine)
(Toujours cette idée de châtiment divin)




Et il n'y eut pas que la littérature: dans la catégorie graphique, on compte aussi les danses macabres. Il s'agit de ce motif de morts dansant avec des vivants, représenté par exemple à l'abbaye de la Chaise-Dieu, ou le long d'un des murs d'enceinte -du charnier des lingères- du cimetière des Saints Innocents à Paris (détruit depuis).

Un motif très présent du XIV au XVIème siècles, pas de hasard donc...l'art macabre avait pour but principal de rappeler la fugitivité de la vie, et que tout le monde est égal devant la mort.



Mais cette habitude de représenter ensemble vivants et trépassés avait sans doute un rapport avec le fait que durant l'épidémie, les vivants croisaient sans le savoir de futurs condamnés potentiels. La danse des morts s'est depuis exportée dans la musique; Angelo Branduardi, le troubadour des temps modernes, chantera en 1979 le "Bal en Fa dièse mineur", à propos de la mort des hommes.


Le moine John Kleen, avant de succomber à la peste, écrivit qu'il laissait blanches les dernières pages de son journal si "les derniers fils d'Adam survivaient" et pouvaient les remplir.

L'anéantissement complet de l'humanité était une perspective qu'on avait redoutée au pic de l'épidémie, les morts surpassant en nombre les vivants. En fait, certains romanciers modernes ont depuis imaginé des histoires dystopiques où l'Europe se retrouve effectivement vide d'habitants suite à la peste noire; dans certains récits, le continent est ensuite colonisé par des peuples arabes ou asiatiques.

Les récits dystopiques ont de toute façon tendance à nous décrire soit un monde ravagé par un holocauste nucléaire (peur de la guerre froide) soit par une épidémie.

Ou les deux, comme dans Fallout et Fido.


Peut-être inspirés en partie  par des épidémies plus récentes comme la grippe espagnole, par exemple, mais une résurgence de la peste noire n'est pas à exclure.

Et puis, le thème de la danse macabre ne vous a-t-il pas rappelé quelque  chose? Les morts qui sortent de la tombe, s'attaquent au vivants, qui fuient en se demandant s'ils ne seront pas les derniers...Ce ne serait pas proche du thème de l'invasion zombie, par le plus grand des hasards?



Le zombie originel n'était en fait au début qu'un vivant envoûté, à la volonté soumise au bokor (sorcier) dans la tradition vaudoue.



 Quand donc s'est il transformé en mort vivant avec peu de conversation? En 1968, George Romero réalise la Nuit des Morts vivants où le nom de zombie est attribué pour la première fois aux revenants en question.



Depuis, le zombie de cinéma n'a plus rien à voir avec la tradition vaudoue. Les zombies modernes sont contagieux par morsure  et si leur origine est expliquée, il s'agit bien souvent d'un virus, comme dans The walking dead ou 28 jours plus tard.




Évidemment nos cinéastes modernes n'ont pas connu la peste noire, mais le trauma induit par celle-ci a sans doute imprimé le cerveau reptilien des européens (c'est à dire une sorte de conscience collective qui se transmet  à la descendance).

Outre que la contagion zombie est rapide et le nombre de morts surpasse vite celui des vivants, ceux qui survivent sont ceux qui suivent l'adage "Cito, longe, tarde" . Les survivants d'une invasion zombie, souvent confinés derrière des murs, se demandent s'ils ne seront pas les derniers êtres humains, abandonnant littéralement la planète aux morts. Dans Je suis une légende, le héros est effectivement le dernier humain, au détail près que les morts-vivants qui ont envahi ici la terre sont des vampires.



Nosfératu (1922) établissait déjà un parallèle entre la présence du vampire et une épidémie de peste.


Même pour un scénariste moderne, un virus ravageur et rapide n'a donc hélas plus rien d'une fiction, et l'apparition d'une nouvelle maladie fait toujours craindre que les mêmes conséquences se reproduisent. En 1981, le virus du Sida, alors appelé cancer gay, est identifié pour la première fois.



Au début, le mode de transmission est également mal connu et à l'inverse de la peste, il est minimisé: on croit que seuls les gays peuvent en être  victimes, jusqu'à ce que d'autres malades, qui se croyaient à l'abri, se révèlent. Identifier les vraies transmissions possibles (le sang, le sperme et le lait maternel) va être long, et toutes sortes de spéculations auront lieu entre temps. Expliquant que, aujourd'hui encore, certains croient  la transmission est possible par la salive, l'usage des toilettes, en touchant de l'argent, etc.

Lors de l'acmé du sida en 1988, on pouvait compter une victime célèbre par semaine (Rock Hudson, Isaac Asimov, Thierry le Luron, Jacques Demy et Freddy Mercury pour ne citer qu'eux).


S'ensuivit une psychose, basée sur la crainte de voir la maladie progresser au même rythme et les spots de prévention de se multiplier. Parmi ceux ci, un spot australien de 1987 usera de la faucheuse façon danse macabre même si ici, il est plutôt question d'un jeu. Des faucheuses sont vues en effet en train de jouer au bowling avec des gens en guise de quilles tandis que la voix-off conclut, sans appel, que l'épidémie du sida progressant au même rythme finira par tuer plus d'australiens que la seconde guerre mondiale. Un risque tout à fait plausible quand on se souvient de la peste noire, en effet...Bref ne regardez pas ça avant d'aller vous coucher.




Dans les faits la prévention, et les trithérapies freineront la progression du sida, mais
la peur de la pandémie est toujours prête à resurgir.


 Le  virus  Ebola, découvert en 1976, pourrait  incarner une telle pandémie car la maladie  est souvent fatale en seulement  quatre  jours. Mais justement : cette vélocité  fait que  les contaminés  ne peuvent aller bien loin et les épidémies  ont toujours  été  limitées au continent africain. Le vaccin encore  inexistant,  et les mutations  souvent  agressives  dudit virus,  font qu' Ebola  est souvent, dans  les scénarios catastrophes, à l' origine  de  la nouvelle pandémie pouvant menacer l'occident. 




C'est à la grande peste noire toujours, qu'il faut attribuer l'hygiène corporelle déplorable des siècles suivants. On connait la propreté sous l'Antiquité, globalement respectée avec les établissements de bains et thermes ouverts à tous. Au Moyen-âge, ils furent remplacés par les étuves, et ce fut dans une certaine mesure une période du beau et du propre.




Mais outre que les étuves devinrent de plus en plus des sortes de lupanars, avec la peste se posait la question de cette inexplicable contagion. On en vint à suspecter l'eau, et l'eau chaude en particulier, de rendre le corps trop perméable à la maladie en ouvrant les pores. Les étuves fermèrent et du XV au XVIIIème siècle en Europe la toilette devint "sèche", se réduisant à changer de linge de corps et s'asperger de parfum. C'est unique au monde: partout ailleurs on se lave de façon classique à cette période. Preuve que l'Europe, parce que  touchée par cette maladie, a réagi de cette façon particulière (d'autant que la peste connait des résurgences régulières jusqu'au XVIIIème siècle.)

Et pourtant  la peste bubonique avait eu des conséquences positives, si, si! La chute démographique (qui l'eût cru?) précipitera celle du système féodal et du servage. Forcément:  la disparition de près de 50% des gens, aboutit à une raréfaction de la main d’œuvre. Les serfs, qui jusqu'ici avaient besoin de l'autorisation de leur seigneur ne serait-ce que pour changer de lieu de vie, purent se mettre à exiger des salaires plus élevés. En un siècle, le servage fut de l'histoire ancienne, avec des hommes libres travaillant sur des terres louées aux seigneurs.


Les grands drames aboutissent parfois à une forme de nihilisme et de pessimisme chez les survivants qui ont vu cela de près.



Mais d'autres, au contraire, voient une chance dans le simple fait de survivre et se mettent à profiter de l'existence-car elle aurait pu leur être arrachée. Expliquant par exemple les années folles qui ont suivi la première guerre mondiale et  les trente glorieuses qui ont suivi la seconde.



La Renaissance qui suivra la peste noire sera une époque de réformes religieuses, oui, mais aussi de recherche de bonheur terrestre-d'où le terme de Renaissance.


 Passer du tout spirituel au plus matériel porte le nom d'humanisme (centré sur l'humain).  Les arts plastiques, la littérature, les sciences, et les explorations (la découverte de l’Amérique , entre autres!) connaîtront un formidable essor.


Non pas que la peste avait disparu. Elle connaîtra jusqu'au 20ème siècle des résurgences régulières en Europe même si la panique aidant on sera prompt à appeler "pestilence" toute maladie suspecte -de la sorte que certaines épidémies n'auront en réalité rien à voir.

 Cet excès de prudence sera toutefois profitable, les épidémies de peste suivantes n'atteignant jamais le nombre élevé de morts du XIVème siècle en Europe. A Londres en 1665 par exemple (le grand incendie de l'année suivante détruisit les foyers infectieux), ou durant la peste de Marseille en 1720, on parviendra à circonscrire la maladie à la Provence (même si on dénombrera jusqu'à un millier de morts par jour).



Il est temps de tordre le cou à un lieu commun: le costume des médecins de peste, à bec d'oiseau, sera mis au point durant les épidémies du XVIIème siècle, et non pendant la grande peste.



Finalement, en France, les dernières personnes atteintes seront des chiffonniers parisiens dans les années 1920-si on  ne compte pas les colonies de l'époque comme le Maroc et l'Algérie, atteints après la seconde guerre mondiale, et dont un roman de 1947 d'Albert Camus garde le souvenir.


L'antidote existait cependant, mis au point en 1894 par Alexandre Yersin.


 D'autres épidémies, comme la tuberculose ou le choléra, ont pu atteindre  l'Europe à cette époque. Et pourtant: ce fut bien la grande peste noire qui devait frapper durablement les esprits et entrer dans le langage courant.

Quand nos ancêtres s'exclamaient "La peste soit de ..." ce n'était pas une malédiction en l'air. Aujourd'hui encore, si vous avez déjà traité une fille de "petite peste",  ce n'était sûrement pas un compliment.  On a à juste titre surnommé le nazisme "la peste brune". Et sans doute avez-vous déjà eu à choisir entre "la peste et le choléra"? (le choléra ayant dévasté l'Europe à plusieurs reprises au XIXème siècle). N'avez vous pas déjà fui quelque chose "comme la peste" et "pesté" pour râler après une chose ou un être, ou traité quelqu'un en "pestiféré" ?
C'est aussi le nom d'un groupe de métal.

Bien qu'éradiquée depuis plus de cent ans dans le monde occidental, la peste a suffisamment impressionné nos cerveaux reptiliens pour nous venir à l'esprit dès qu'une épidémie grave est évoquée, notamment dans la fiction, même actuelle. La mémoire collective de cette épreuve, d'après certains chercheurs, serait même à l'origine de la phobie des rats, pour ceux qui en souffrent!

Donc, nous devons bien plus qu'une baisse démographique à la grande peste: les fondements de notre société moderne, sûrement, et pas moins, via les variations  et déplacements démographiques, les questionnements des humains, les baisses et montées de moral.  Plus quelques motifs iconographiques, de la culture populaire, et quelques expressions aussi.




Sources:


 http://www.dailymotion.com/video/xqu90t_la-mort-noire-peste-noire-moyen-age_news

https://dailygeekshow.com/peste-noire-bienfaits/

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