lundi 9 juin 2014

Semaine nationale des princesses

Car oui , une telle semaine existe bien.






Princesse : un mot qui évoque des rêves d’enfant mais aussi des centaines d’images mièvres, un tourbillon de rose et de paillettes, une notion normalement honnie des jeunes garçons, des féministes dignes de ce nom, des adultes. Qu’a-t-il  a donc ce mot, ce mot charmant, doux et joyeux,  pour susciter tant de haine ?

Dans la « vraie vie », il ne dérange pas tant que ça. Au contraire, on ne cite plus les enfants chéries des tabloïds, dont le décès invoque une marée haute de fleurs.  Mais leur vie n’est au  fond n’est pas si enviable, donc qu’importe si les princes à marier ne sont plus si nombreux ! Les « vraies » princesses, en effet, s’habillent comme la première venue au quotidien (la tiare et les robes, c’est pour les soirées mondaines) , ne se déplacent en réalité en carrosse que les jours de mariage et de couronnement, et doivent avoir un harassant travail de représentation  quand elles ne sont pas héritières ou souveraines (entendez faire l’inauguration de la salle des fêtes  de Triffouillis-les oies ou de la foire à la saucisse y compris avec une jambe dans le plâtre, ou sous la pluie). Sans parler d’un protocole envahissant au point qu’un agenda strict les régit et que certaines ne peuvent choisir leur époux (s’il venait à être déjà divorcé par exemple). Terminez avec les paparazzis, les divorces, parfois les décès prématurés par accidents d’auto, et on envie plus guère celle qui mettra la main sur Harry d’Angleterre.

Mais, comme dirait le roi de Peau d’âne,  « Les princesses de contes de fées, ont-elles disparu? ».


En tout cas, voilà en réalité à qui les fillettes souhaitent ressembler, bien plus qu’à celles décrites plus haut.  Comme elles, belles, bien habillées, aimées  de tous, mais en prime, libres de circuler, vivant bien souvent dans des pays magiques, et plus précisément dans des palais bien plus beaux et grands que tous les Buckingham palaces de la terre, avec des fées marraines, (quand elles ne pratiquent pas la magie elles-mêmes !), libres d’épouser un berger si l’envie leur en prend, ou de mettre personnellement fin à une guerre avec une épée de grosse badass,  et portant la robe longue et la tiare de rigueur en permanence. Ou pas, si elles préfèrent l’armure de dure à cuire.



Personne ne le leur reprochera, car souvent elles ont des parents faisant ce qu'elles veulent! Quand ce ne sont pas elles qui commandent, car le trope de la princesse qui règne sans pour autant être appelée une reine est omniprésent.  Et si d’aventure une telle princesse a un irascible papa à convaincre, disons que cela s’ajoutera à la somme d’aventures trépidantes qui l’attendent…Car elle en aura toujours, à moins d’être le prix de consolation d’un jeu vidéo à l’ancienne, un genre heureusement en voie de disparition.

...Loué en soit Le Seigneur.


Parents, ne soyez pas absolument désespérés si votre petite fille affirme vouloir être princesse. Songez que de base,  elle désire être à la tête d’un état ! Pas mal pour un rôle émulateur. Mais, me diriez-vous, dans ce cas elle devrait plutôt jouer à être une reine, la princesse étant par définition une héritière en formation qui n’a pas encore de responsabilités, à moins d’exercer dans une principauté. Le problème, c’est que les reines aussi souvent souffrent de dichotomie avec le réel : les vraies peuvent être adorables, mais dans les contes, au secours! (Alice au pays des merveilles et Blanche-Neige, quelqu’un ?)







Une fillette qui joue à la princesse aspire non seulement à une position dominante, mais aussi à être quelqu’un de bien, par définition.  Les exceptions à cette règle existent, mais sont encore rares.


Comme Azula, la  princesse  dans Avatar le dernier maître de l’air.

Le titre, de base, faisait rêver car était  le seul pouvant être porté par une femme dès la naissance. En France en tout cas, le fils d’un duc, comte ou baron sera toujours appelé de la sorte dès sa venue au monde. Mais sa sœur ne sera jamais qualifiée de duchesse, comtesse, ou baronne : pour cela elle devra  attendre d’être mariée à un homme ayant le titre qui correspond. De même pour le titre de reine dans tout pays régi par la loi salique : une reine c’est la femme d’un roi, point barre, prêtant d’ailleurs à confusion quand il est aussi utilisé pour une souveraine. (D’ailleurs le mari d’une reine souveraine n’est même pas roi, mais prince consort : tout un programme…) Seule, la fille d’un roi était qualifiée dès sa naissance de princesse, de façon aussi légitime qu’une jeune femme recevant cette appellation au mariage avec un prince.  En d’autres termes : le seul  titre pouvant  être porté par une célibataire, donc  libre…La définition de la princesse est en réalité bien plus féministe qu'on le croit souvent.



Peut-être parce que quand on les imagine, on voit surgir Peach ? (blonde, en rose, nunuche ! Combo ! Encore qu’elle a été active dans certains jeux, mais bizarrement, nul ne s’en rappelle).



Mais Dieu du ciel, encore heureux que toutes ne lui ressemblent pas ! Qualifieriez- vous  Wonder Woman, Xena ou She-ra de damoiselles en détresse attendant leur prince charmant devant les libérer d’une tour ?



On touche là à l’avantage principal d’une princesse : on peut tout être  en  même temps qu’on en est une, parce qu’il s’agit d’un état de naissance auquel on ajoute une fonction. Princesse et sirène, princesse et guerrière, princesse et pirate, princesse et espionne,  princesse et sorcière : les possibilités sont quasi-infinies.

Sauf que, persifle –t-on, une recherche sur Google image suffit à s’en persuader : le mot « princesse »  fait surgir d’abord les « Disney Princesses » dans l’imaginaire collectif.

Oui, et alors ? L’imaginaire collectif, toujours lui, semble s’être bloqué sur les trois plus anciennes d’entre elles.




Ménage, peu d’action et prince charmant au programme pour Blanche-Neige, Cendrillon, et Aurore. 



Qui, pour être honnête, étaient les  seules pendant  cinquante ans. Mais depuis ? Plus de cheveux blonds, de robes roses, de sauvetage par un prince les enfants !  Ariel sauve son prince et s’oppose à son père, Belle dévore les livres, Jasmine est une impertinente,  Pocahontas sacrifie son amour pour son peuple et est un artisan de paix, Mulan est une courageuse et une badass qu’on ne présente plus….



Mais ne se sent pas obligée de singer les hommes  pour les égaler : elle est aussi mal à l’aise en soldat qu’en fille à bonne à marier, et gagne en étant elle –même : dans une robe, mais bleu sombre plutôt que rose.



Rien que pour ça, elle méritait d’être princesse à titre honorifique, même si elle ne l’est pas sur le papier. Et depuis ? Tiana rêve d’ouvrir un restaurant et chez elle les désirs de romance sont secondaires, Raiponce  a du répondant exprimé à coups de poêle sur la tête, Mérida est la première célibataire(le récit se concentre sur la relation à sa mère) tout en étant experte en maniement des armes et…rebelle.  Anna ne craint tout simplement rien, de la chute d’un sommet enneigé à une rencontre avec des loups enragés. Sa sœur Elsa, outre des pouvoirs qui rendraient jaloux n’importe quel super-héros, est la seconde célibataire et la  première à devenir reine (encore que l’image de ces dernières risque de mettre du temps à s’améliorer). Les princesses Disney sont loin d’être un modèle dont il faudrait avoir honte, pourvu qu’on n’oublie pas de voir les films aussi et qu'on ne s'en tienne pas qu'au marketing.







Dans lesquels cette encombrante image, dont les studios Disney ont plus que conscience, est désormais mise en lumière. Charlotte, dans La Princesse et la Grenouille, est une blondinette obsédée du rose et des histoires de princesses mais qui n’en a pas moins  un cœur d’or.  Dans La Reine des Neiges, Anna désire la rencontre immédiate avec le prince charmant mais ceci est incroyablement et terriblement déconstruit.



Parlons-en de celui-là,  le prince charmant. Vous trouvez les contes classiques sexistes parce que les princesses y sont apparemment soumises et effacées ? Mais songez à la chance qu’elles ont, comparé à leurs fiancés. Les histoires sont centrées sur les personnages royaux  féminins le plus souvent, la plupart ont des prénoms, et on les reconnait facilement sur n’importe quelle illustration classique : Cendrillon à ses pantoufles de verre, la Belle au bois dormant parce qu’elle est dans un lit ou près d’un rouet, Blanche-Neige à son teint pâle, ses cheveux sombres, la proximité des nains ou /et d’une pomme,  Raiponce à sa longue chevelure, Peau d’âne à sa robe couleur soleil, à sa peau, ou les deux…Et pendant ce temps-là, les princes, il faut bien le dire, ont tendance à tous se ressembler. Sur une illustration classique, impossible de dire qui est qui.

 Les studios Disney étaient tombés dans ce travers, les deux premiers princes n’ayant pas de prénom et deux lignes de dialogues, la plupart des néophytes ne peuvent les distinguer. Un léger mieux arrive avec Philippe (La Belle au bois dormant) qui a un prénom, une présence accrue et tuera même un dragon. Certes, comme Aurore, il devient muet après la seconde moitié du film et sera sauvé par les fées mais c’est une amélioration.


Éric de  La Petite Sirène, lui, tuait la sorcière des mers tout en étant très présent le long du film. Mais après lui, on en arrivera aux princes bien plus ambigus, qu’ils soient monstrueux (La Bête) ou homme à femmes (Naveen dans La Princesse et la grenouille), quoique toujours positifs…A moins d’une reconstruction complète comme avec le prince Hans, le méchant surprise dans  La reine des neiges.

...qui est un Barbe-Bleue.

A côté de ça,  on remplacera systématiquement les princes par d’héroïques roturiers (Aladdin, John Smith, Li Shang, Flynn Rider et Kristoff), appelés seulement à l'ultime fin à devenir des consorts. 
Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les princes, eux, n’aient jamais fait rêver les petits garçons. Demandez à l’un d’eux s’il veut être prince charmant, et il y  aura fort à parier qu’il répondra non. Qui voudrait être un « nul » en collants d’opérette qui n’apparaît qu’à la fin, comme l’ultime récompense de l’héroïne ?



Oui mais : retournez le problème, et demandez-lui si par contre il aurait souhaité être roi : vous obtiendrez sans nul doute une réponse positive. Contrairement à son épouse, le roi, qu’il soit Aragorn,   Black Panther, Aquaman  ou Simba jouit d’une bonne réputation. Il possède le pouvoir (effectif dans son cas, il est vrai), l’amour des sujets, les possessions terrestres… Bref comme la princesse.










Les rêves de l’humanité toute entière sont en fait les mêmes, ce n’est qu’une question de nuances dans les termes. Doit-on s’étonner, si dans Le secret de Terabithia, Jess et son amie Leslie sont un roi et une reine au royaume du même nom ?  Après la disparition de Leslie, Jess introduit sa sœur Maybelle, plus jeune que son amie, à Terabithia, dont elle devient…la princesse.



 Mais  son frère resté roi ne boude pas son plaisir, tout comme, au demeurant, la fratrie des Pevensie dans Narnia.


Edmund, Peter, Susan et Lucy, les rois et reines ados de Narnia.


Récapitulons : le rose, le prince charmant, les paillettes et l’attitude passive ne sont même pas des obligations. D’après vous, qu’ont donc en commun des personnages aussi disparates que Zelda, Saori (Saint Seiya) , Leia Organa (Star Wars), Hildegarde von Krone (Soul Calibur IV) ,la plupart des Winx, Celestia et Luna (Mon petit Poney), Sailor Moon, la Veuve noire (The Avengers)  et Daenerys Targaryen ?








Sous réserve que son nom, Romanoff, la lie bien à la famille impériale de Russie.



C’est cela : des princesses. Comme une façon de signaler qu’un personnage féminin est digne d’intérêt.  Cela peut-être une valeur ajoutée. Parfois certaines ont ce titre sans que l'histoire en soit modifiée ou que cela ne se remarque réellement.  Irène dans La Princesse et la Forêt magique, adapté du premier roman de fantasy? Mêmes aventures (combat avec les gobelins) même si elle n'en avait pas été une.


 Leia dans Stars Wars? Elle serait restée la "damoiselle hors de détresse" qu'il faut aller chercher mais qui prend les choses en main après son évasion de toute façon (d'autant que son royaume a été détruit). Eilonwy dans Le Chaudron magique? Idem: Loin de son château après s'être enfuie de chez le Seigneur des ténèbres et vêtue simplement, elle aurait pu être seulement magicienne (sa qualité secondaire) pour autant, n'ayant pas eu le temps de rejoindre son royaume avant la fin de l'histoire. Dans le livre original, (Les Chroniques de Prydain) , Eilonwy ne mentionne même pas son statut social avant la dernière page du premier livre, car on ne le lui avait pas demandé...



Mais les rêves de princesses ne sont-ils pas pour autant puérils? Une vie sans responsabilités  à se faire faire ses quatre volontés ne pèsent pas bien lourd face à une vie d'adulte respectable et pleine d'obligations, non? Non. La  figure du sale gosse royal, popularisée par Joffrey Baratheon (Game of Thrones) n'est pas le produit de ce qu'on est sensé normalement  enseigner aux héritiers royaux.


D'autres productions (Princesse Sofia, Princesse Protection Programme), rappellent qu' au contraire avoir une importance sociale si élevée,  veut qu'en contrepartie on soit la première en gentillesse, prévenance, philanthropie (l'implication de nos amies dans les œuvres de charité sont légion tant dans la fiction que dans la réalité.) De base, profiter d'une position dominante n'est pas supposé être le comportement escompté.
Imiter les princesses veut dire faire preuve en toute circonstances de dignité, compassion, respect, charité, élégance et politesse. Il y a pire comme modèle, pour peu qu'on le prenne  au sérieux. C'est le cas avec Sarah Crewe (La Petite Princesse de Frances C. Burnett).


Cette dernière affirme que: "Je suis une princesse. Toutes les filles le sont. Tant pis si elles vivent dans de sordides greniers, tant pis si elles sont vêtues de haillons et tant pis si elles ne sont ni jolies ni élégantes ni jeunes. Elles sont toujours des princesses, c’est notre privilège. "
Non sans raison, car elle passe une bonne partie de son histoire à récurer le plancher. C'est  cet état d'esprit, pendant cette période, qui lui permet de se mettre au-dessus des procédés de camarades ayant gardé bonne fortune, mais étant de vraies pestes.


Est-ce un hasard si le souhait d'être princesse est au fond partagé par toutes les fillettes y compris celles habitant des républiques où tous les titres de noblesse ont été bannis comme étant antidémocratiques? Pas vraiment: preuve de l'aura de la fonction, les participantes aux concours de beauté étaient qualifiées de reines plutôt que de miss jusqu'en 1921. Il en reste des traces, comme le port du diadème et d'une écharpe pour la gagnante. Et le titre de reine est encore usité dans les concours ayant lieu dans les lycées américains.


Le titre est aisément donné pour signe distinctif, telle la Sainte Vierge qui en plus d'avoir Un Fils Roi des Rois, est appelée Reine de bien des choses: des anges, des cieux, des prophètes...


Allons donc! Ça n'a pas de sens de se prétendre  telle, si on y a pas droit légitimement, me direz-vous! Et bien, même la philosophie de Sarah Crewe mise à part, sachez que vous descendez de Charlemagne  de façon certaine si vous êtes d'origine européenne...entre autres, bien sûr!

Bien sûr...Mais n'est-il pas ennuyeux à force, d'avoir un tel devoir de représentation et de ne jamais pouvoir courir, sauter ou se salir?

Même les Studios Disney avaient abordé la question dans Mulan 2, avec la chanson Comme les autres filles, chantée par les filles de l’empereur de Chine.






C'est vrai que selon les époques, espace-temps, dans les réalité ou la fiction, le degré de liberté est plus ou moins grand....Mais, comme les princesses de la jungle ou des gitans (car oui, elles le sont quand même), on peut dire zut à tout ça, tout en gardant le statut. Dans une chanson We know better ("Nous le savons mieux"), coupée dans La Reine des Neiges, les deux sœurs chantaient ce qui est attendu ou non des princesses, avant d'en prendre le contre- pied...




 Fonction protéiforme et jamais démodée, le titre de princesse méritait sa semaine.

(A lieu pendant la dernière semaine d'avril chaque année)

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